Mon séjour au Koweït pour la célébration de la fête de Saint Maroun
5 – 8 février 2014
Mercredi 5 février 2014
18h00, Je quitte Beyrouth sur un vol de la MEA pour le Koweït où je suis invité par le Conseil pastoral de la paroisse maronite et le curé P. Raymond Eid à présider la fête de Saint Maroun. Je suis accompagné par une délégation officielle de la Ligue maronite et l’équipe de Télé Lumière – Noursat.
20h50, je suis à l’aéroport du Koweït. Une réception officielle nous est réservée au salon d’honneur. A nous recevoir, il y avait : l’ambassadeur du Liban au Koweït Dr Khodr Heloué, le Vicaire apostolique pour le Nord d’Arabie Mgr Camillo Ballin (dont dépendent les catholiques et les Maronites au Koweït), et les membres du Conseil pastoral avec, à leur tête, le Père Raymond Eid, ainsi que les responsables de la MEA au Koweït.
J’ai le temps de saluer tout le monde et de leur porter les salutations et la bénédiction de Sa Béatitude le patriarche Raï. Puis on nous emmène à dîner dans un restaurant appartenant à l’un des Maronites, M. Henri Barakat, avant d’aller coucher à l’hôtel et moi au presbytère de la maison diocésaine du Vicariat apostolique au Koweit.
Jeudi 6 février 2014
Je commence par prendre le petit déjeuner avec Mgr Ballin. Je l’ai remercié d’abord pour m’avoir accueilli dans son presbytère, et ensuite pour l’accueil qu’il réserve à nos Maronites et à leur curé dans son Eglise et dans la maison annexe pour toutes leurs activités paroissiales. Nous avons pris le temps de parler de la situation de nos Maronites au Koweït qui demandent à être reconnus canoniquement et à avoir leur autonomie à l’exemple des Melkites catholiques. Je comprends leur demande, lui ai-je dit ; mais je sais aussi que leur présence au sein de la communauté des Catholiques au Koweït (qui compte près de trois cent cinquante mille fidèles, dont surtout des indiens et des philippins, et quelques arabes) leur donne une ouverture universelle et un soutien légal et politique auprès du gouvernement koweitien (qui ne reconnaît pas un statut légal aux Maronites). J’ai compris qu’il y a eu une friction entre lui et le Conseil pastoral à cause justement de cette demande d’autonomie. Je lui ai promis de rapprocher les points de vue et de faire comprendre à nos Maronites que c’est une affaire qui se négocie entre le Patriarcat maronite et le Saint-Siège, que le patriarche Raï s’y intéresse personnellement, et que de toute façon ils ont à profiter objectivement et positivement de ce qui leur est offert par l’Eglise catholique au Koweït.
12h00, réception officielle à l’ambassade du Liban. L’ambassadeur, Dr Khodr Heloui, un intellectuel, nous reçoit avec son grand cœur et nous fait la leçon sur les Maronites et leur rôle dans l’édification du Liban, ainsi que leur place privilégiée au Koweït et dans le monde.
A 14h00, déjeûner en mon honneur et celui de la délégation de la Ligue maronite chez M. Charbel Chémali, président sortant du Conseil pastoral.
A 19h00, je célèbre la Messe quotidienne avec Père Eid.
A 21h30, soirée libanaise à l’hôtel Mariott Courtyard dans la grande salle. 750 personnes sont là pour encourager le dîner de bienfaisance que la colonie maronite organise chaque année en faveur surtout de Télé Lumière – Noursat, et de leurs activités pastorales et charitables. Sont aussi présents le Nonce apostolique au Koweït S. Exc. Mgr Petar Rajic, les ambassadeurs des Etats-Unis, de Russie, du Canada, de l’Arménie, d’Egypte, d’Australie, et des personnalités de toutes nations, ainsi que les Libanais de toutes confessions et leurs amis. J’ai pu m’entretenir avec Mgr le Nonce, qui est ami avec le Nonce au Liban Mgr Gabriele Caccia, sur la situation du Liban et des chrétiens au Liban et dans les pays du Moyen-Orient en proie à la violence et à la vague de fondamentalisme exacerbé. Nous avons parlé également des Maronites au Koweït et de leur rôle ecclésial, social, culturel et politique.
Vendredi 7 février 2014
11h30 – 13h30 : j’ai rencontré les enfants de la catéchèse. 570 enfants et jeunes, maronites et catholiques de langue arabe, sont répartis dans toutes les classes, depuis les élémentaires jusqu’à la Terminale. Quelques trente-cinq animateurs et animatrices volontaires, dont surtout des parents, et une direction de douze personnes qui surveille la formation. Je fais le tour de toutes les classes. Les enfants se sentent impliqués et les parents aussi. Ils s’intéressent à approfondir leur foi chrétienne et à découvrir leur histoire et leurs particularités ecclésiales, liturgiques et culturelles.
19h30, Je préside la Messe de Saint Maroun en la cathédrale de la Sainte Famille. Avec la communauté maronite du Koweït, en présence du Nonce apostolique S. Exc. Mgr Petar Rajic, des représentants des communautés catholiques et orthodoxes, ainsi que celles sunnite, chiite et druze, de l’ambassadeur du Liban au Koweït et d’une foule de fidèles venus partager notre Eucharistie.
C’est la chorale de la paroisse qui chante la Messe.
J’ai commencé mon homélie par saluer les fidèles présents, et à travers Télé Lumière et Noursat, « au nom de notre Père et Patriarche Sa Béatitude Mar Béchara Boutros Raï, et de leur transmettre sa bénédiction ».
J’ai développé ensuite « les constantes de la spiritualité antiochienne maronite vécue par Saint Maroun, anachorète et prêtre du IV° siècle (350-410), et perpétuée par ses disciples qui sont venus évangéliser au Mont-Liban, dont surtout Saint Jean-Maroun fondateur de l’Eglise patriarcale maronite au sein de l’Eglise d’Antioche vers la fin du VII° siècle, et par le peuple et l’Eglise qui ont porté son nom tout au long des siècles. Les éléments essentiels de cette spiritualité sont : la vie en plein air sur les sommets des montagnes ou les creux des vallées, la prière, le jeûne et les sacrifices, la liberté dans leur relation avec Dieu et avec les hommes, le travail de la terre aride qu’ils ont transformée en jardins fertiles pour s’assurer une vie digne.
Ces Maronites, grâce à leur ouverture et leur culture, ont réussi à fonder, avec leurs frères druzes et musulmans, l’entité et l’identité libanaise à partir du XVI° siècle et jusqu’à la moitié du XIX° siècle aux temps des Emirats des Maan (druze) et des Chéhab (maronite). Et ils ont réussi à obtenir de la France en 1920, grâce aux efforts du patriarche Elias Hoyek, qui représentait tous les Libanais au Congrès de paix de Versailles, la proclamation de ‘l’Etat du Grand Liban’, et en 1943 la proclamation de la République libanaise, Etat indépendant et souverain. Et ils ont fait suivre cet acte par l’accord entre le président de la République maronite et le Premier ministre musulman sunnite appelé le ‘Pacte national’ qui se base sur cinq éléments :
Et en citant le Père Youakim Moubarac, j’ai rappelé « les réalisations maronites qui ont été appréciées par leurs contemporains et mis en valeur à toutes les occasions ».
« C’est dans la continuité de cette démarche que Sa Béatitude le patriarche Raï a publié le Mémorandum national il y a deux jours pour rappeler les constantes historiques et le rôle permanent du Patriarcat maronite et des Maronites dans la défense de l’Indépendance du Liban et de sa formule conviviale dans le respect mutuel, l’unité dans la diversité ».
« Et pour répondre à la situation actuelle qui voit notre cher Liban et nos pays du Moyen-Orient soumis à la vague du fanatisme et du fondamentalisme, je cite ce qu’avait écrit le prince saoudite Talal Ben Abdel Aziz Al Soud le 29/1/2002 :
‘Les chrétiens ont constitué l’une des fondations de l’Edifice arabe ancien et moderne. A l’aube de l’Islam, ils étaient un pilier culturel, politique et militaire de l’empire arabe qui s’est étendu vers l’Orient comme vers l’Occident. (…) Au temps de la Renaissance, les chrétiens arabes ont joué leur rôle dans la résurgence de l’arabité et de son contenu culturel universel et ouvert aux autres cultures renaissantes alors qu’on assistait à un recul arabe. Ils ont constitué une jonction et un fondement culturel authentique dans l’arabité et un fer de lance dans la modernité. Leur existence et leur permanence dans le monde arabe empêche la résurgence d’un climat de fanatisme et de fondamentalisme, et en conséquence la violence menant à des catastrophes historiques’.
Douze ans après, les catastrophes sont d’actualité en Irak, en Palestine, en Egypte, en Syrie, ai-je conclu. Pouvons-nous rester les mains croisées ? Ou avons-nous un rôle à jouer, en tant que Maronites et Chrétiens, pour empêcher l’éclatement d’une guerre sunnito-chiite et le développement du fondamentalisme aveugle ?
C’est ce que le patriarche maronite, Sa Béatitude Raï, a voulu rappeler dans son Memorandum national ».
Après la Messe, nous nous trouvons dans la salle paroissiale pour fêter l’occasion. Des mots sont prononcés : celle du curé P. Raymond Eid, du président du Conseil paroissial, de la Ligue maronite, et de l’ambassadeur du Liban. Le mot de ce dernier a été remarqué et remarquable par son contenu. Nous l’avons longuement applaudi, et moi en premier lieu. Le rapprochement avec les idées contenues dans mon homélie était très visible. Je lui ai tout de suite demandé le pourquoi ? Il m’a répondu que nous avons comme référence le même Maître : Père Youakim Moubarac. Il avait en effet étudié à Paris I Sorbonne entre 1979 et 1983 et soutenu sa thèse avec P. Youakim Moubarac, au même moment où j’étais moi aussi à Paris pour mes études à l’Institut Catholique et à la Sorbonne ; mais nous ne nous connaissions pas. Voici quelques passages significatifs de son discours :
« Je suis honoré de célébrer avec vous la fête du patron de l’Eglise maronite bien aimée, Saint Maroun, qui a œuvré à la fondation d’une Eglise orientale. Cette Eglise s’est ralliée à la foi catholique présidée aujourd’hui par le Souverain Pontife le Pape François qui mène une vie de charité et d’humilité à l’exemple de Jésus qui est la Parole de Dieu avec laquelle Jean a ouvert son évangile. Cette méthode divine ne connaît que l’amour comme chemin et ne pratique que le pardon comme moyen de réconciliation entre les hommes, sans distinction entre chrétien et non chrétien. Cette méthode constitue aujourd’hui le seul langage possible entre les hommes ; le langage de la paix, de l’amour et de l’ouverture. (…)
Le Liban est le pays de tous ses fils. Il a passé par des guerres et des crises douloureuses, et il succombe toujours à la tentation. Mais notre foi en tant que Libanais nous fait affirmer que nous nous contentons des 10.452 Km² (la surface du Liban), sans ambition de les dépasser ni l’intention de les répartir en entités plus restreintes. Cette surface nous est suffisante et donne de la place à tous ses fils. Et la responsabilité incombe à tout le monde, et en premier lieu aux Maronites du Liban qui ont œuvré à la fondation d’un Etat unique dans une région arabe dont ses pays ont reconnu sa valeur, et en premier lieu l’Etat du Koweït. (…)
L’importance du Liban ne réside pas dans ses majorités ou minorités, mais dans l’ensemble de ses fils différents qui ont enrichi son histoire et ajouté, par leur culture, leur science et leur ouverture, une valeur que reconnaissent tous les pays frères. Et l’importance de sa particularité réside dans la présence chrétienne en son sein. Je réaffirme ici ce que j’ai déjà dit le Vendredi Saint il y a un an, cinq jours après mon arrivée en tant qu’ambassadeur au Koweït, que si les chrétiens sont le sel de la terre dans la région arabe, les Maronites sont le sel de la terre du Liban ! Ils sont les fils de Saint Maroun et porteurs du patrimoine de Saint Jean-Maroun ; ils confessent leur forte appartenance à un Etat pluriel, ouvert comme sont ouverts les Maronites, et distingué comme ils sont distingués.
Et le Memorandum national de Sa Béatitude le Patriarche Raï n’est que la preuve que le dernier mot concernant l’existence du Liban et sa pérennité revient au Siège patriarcal Maronite qui protège le Liban dans toutes ses composantes et protège les Libanais dans toutes leurs appartenances politiques ».
Enfin nous coupons l’énorme tarte qui représente la carte géographique du Liban avec des églises et des mosquées et des étiquettes sur lesquelles on affiche la phrase suivante : ‘Nous rentrons’ !
La fête a continué cependant dans la villa du président du Conseil paroissial, M. Joseph Estéphan, jusqu’à très tard dans la nuit.
Samedi 8 février 2014
Des réceptions sont organisées au cours de la journée avec le petit déjeuner et le déjeuner. Et les Libanais du Koweït en voulaient encore plus.
17h30, je suis revenu au presbytère pour une rencontre ouverte avec les maronites du Koweït. Ils ont dit leurs préoccupations et leurs soucis pour le Liban, pour leurs familles, mais aussi pour leur avenir au Koweït : ils exigent d’avoir une paroisse autonome, comme les Melkites catholiques.
21h50, nous quittons le Koweït pour Beyrouth, où nous sommes arrivés à 23h45.
Je suis rentré immédiatement à Kfarhay.
Mes impressions :
- Notre communauté maronite compte au Koweït près de six mille personnes, dont certains sont ici depuis 1954. Ils ont su être les messagers des valeurs maronites et les leaders de leurs frères de la communauté libanaise, chrétiens et musulmans.
- Les Libanais, qui comptent ici cinquante mille personnes, sont unis et solidaires et dépassent le clivage politique qui se vit actuellement au Liban.
- Ils sont notre honneur au Koweït. De hauts responsables koweitiens m’ont dit devant l’ambassadeur que « les Libanais n’ont jamais eu de problèmes avec l’Etat ni avec les lois. Ils sont sérieux dans leur travail. Ils ne se mêlent pas de politique ni des affaires internes. Ils sont dignes de confiance ».
- Concernant notre communauté maronite, je crois qu’il faudra leur faire comprendre que leur appartenance à l’Eglise Catholique au Koweït est une richesse, une valeur ajoutée, une ouverture à l’Eglise universelle et une position plus forte pour traiter avec l’Etat du Koweït. Quant à la question d’avoir une paroisse autonome, il faudra qu’ils comprennent que c’est une longue démarche de négociations que doit mener le Patriarcat maronite avec le Saint-Siège pour obtenir une reconnaissance canonique et pouvoir ériger un évêché ou vicariat patriarcal dans les pays du Golfe, dont le Koweït.
Je vais en tout cas m’entretenir avec Sa Béatitude le patriarche Raï de cette question. J’en ai d’ailleurs longuement parlé avec Son Excellence Mgr le Nonce apostolique au Koweït.