Lettre de Noël 2014
« Il vous est né un Sauveur qui est le Christ Seigneur » (Luc 2, 11)
A la Nativité de 2014, nous écouterons l’Ange nous annoncer, comme il a annoncé un jour aux bergers de Bethléem qui « vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau », en nous disant : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur » (Luc 2, 8-11).
Cette annonce nous interpelle car, d’un côté, elle nous surprend en des temps où la joie n’est à la portée de nos mains et où règnent les guerres, les persécutions, l’injustice, l’oppression, la vengeance, le meurtre et le génocide au nom de la religion ; et d’un autre côté, elle nous fait entrer dan le mystère de Dieu né homme. Le mystère de Dieu qui a voulu, de par son amour infini pour l’homme, devenir homme pour diviniser l’homme. Le mystère du Fils de Dieu devenu Fils de l’homme pour que l’homme puisse devenir fils de Dieu. C’est pourquoi, Il a adopté notre humanité faible et pécheresse pour la porter en lui sur les chemins de notre terre et l’offrir sur la croix un sacrifice à Dieu le Père par le Saint Esprit et mourir pour la sauver et lui donner par sa résurrection la Vie Eternelle.
A la fin des temps, le Fils de Dieu est entré dans notre histoire et notre géographie, après avoir élu un peuple, une dynastie, une famille, une terre pour naître vrai homme et accomplir la promesse faite à notre père Abraham. Mais Il a vite dépassé la conception du Peuple élu, de la dynastie, de la famille et de la terre pour adopter toute l’humanité et l’appeler au salut. Il a aimé l’homme, tout homme, à n’importe quelle famille, tribu, religion ou culture qu’il appartienne.
C’est ce que les évangélistes Matthieu et Luc ont témoigné en écrivant :
« Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode », dit Matthieu (2,1), et au temps où « César Auguste » était empereur à Rome, et « Quirinius était gouverneur de Syrie », Jésus est né « en Judée, dans la ville de David qui s’appelle Bethléem », dit Luc (2,1-4).
Son peuple ne voulut pas croire en Lui et pourtant il l’attendait. Mais ce furent les bergers, vivant à la marge du peuple d’Israël, et les « Mages venus d’Orient pour lui rendre hommage » (Mt.2, 2), qui furent les premiers à croire.
Quant au roi Hérode, il « fut troublé, et tout Jérusalem avec lui », en apprenant la nouvelle. « Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître. A Bethléem de Judée, lui dirent-ils. Il fit appeler secrètement les mages », parce que celui qui a peur pour son pouvoir dirige sa politique secrètement, hypocritement, et sous la table ; il « les envoya à Bethléem en disant : allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage ». Son intention était de tuer l’enfant et d’éliminer un concurrent possible. Ensuite « Hérode, se voyant joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu’à deux ans ». De son côté Joseph, d’après le signe de l’Ange, « se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit et se retira en Egypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode ». (Mt. 2,2-16).
Par sa naissance, Jésus déjoua les calculs politiques dans l’histoire et la répartition des conquêtes dans la géographie, en prenant comme théâtre, pour sa naissance, non seulement Bethléem de Judée, mais aussi la Galilée, l’ancien Orient (Iraq-Iran), la Syrie, l’Egypte jusqu’à Rome, englobant toute la surface de l’Empire romain qui gouvernait les pays du bassin méditerranéen, à l’Est comme à l’Ouest, alors que les peuples de la région ployaient sous le joug de l’occupation, tergiversaient entre les pouvoirs affaiblis des Perses et des Pharaons, et ne souhaitaient que se libérer même en payant le prix de l’assassinat des innocents.
Ceci eut lieu il y a deux mille ans ; mais il se répète aujourd’hui ; et quelle ressemblance entre hier et aujourd’hui ! la naissance de Jésus déjoue les calculs des Grandes Puissances sur la surface de l’univers et fait échouer tous les accords secrets, alors qu’un nouveau Hérode, le Calife Baghdadi de Daesh, apparaît provoquant les gouverneurs et les Puissances, et ordonnant de tuer les enfants, les adultes et les militaires, de séquestrer les femmes et de déloger tous ceux qui ne déclarent pas leur islam ; tout ceci au nom de la religion, et la religion dans tout cela en est tout à faite exempte.
Et nous constatons qu’entre les Grandes Puissances et ses calculs d’un côté, et les forces de l’extrémisme sur le terrain de l’autre, les peuples réduits à l’impuissance en Syrie, en Iraq, en Palestine et au Liban payent le prix fort sans pouvoir obtenir la liberté de décision et la paix tant désirée.
C’est au milieu de ces événements que renaît Jésus en 2014, et que l’Ange nous annonce la joie pour tout le peuple.
Osons-nous croire à cette annonce à l’instar des bergers qui vinrent voir, furent remplis de joie et devinrent eux-mêmes porteurs de la grande joie ? Ou bien à l’instar des mages qui virent son astre à l’Orient et qui vinrent lui rendre hommage ?
Osons-nous porter cette nouvelle avant tout à notre peuple de Batroun et aux membres de notre Eglise locale, alors que nous sommes en démarche synodale à la redécouverte de notre identité, de l’importance de notre terre sainte et de la grandeur de la vocation à la sainteté à laquelle nous sommes appelés ? Osons-nous ensuite dépasser nos appartenances et nos particularités pour nous ouvrir à tous les peuples du monde où sont dispersés nos frères et nos fils Libanais ?
Osons-nous nous ouvrir à nos peuples - au Liban, en Syrie, en Palestine, en Israël, en Iraq, en Turquie, en Egypte - qui souffrent des guerres absurdes et souhaitent tant la liberté, la justice et la paix ?
Osons-nous la porter à nos frères chrétiens d’Orient qui sont arrachés à leur terre, déracinés et obligés de partir à la hâte, à l’instar de la Sainte Famille, et de se disperser dans les quatre coins du monde ?
Osons-nous la porter à nos frères juifs et musulmans, et nous sommes tous les fils d’Abraham, pour les appeler à vivre la fraternité, l’amour et la paix ?
Venons méditer ce mystère incompréhensible pour la raison humaine, mais pourtant accessible à la foi.
Hier, comme aujourd’hui, nous sommes appelés à croire et à avoir confiance en Celui qui est né dans des conditions humaines semblables aux nôtres, devenu homme pour sauver l’humanité des ténèbres du péché et lui apporter la Paix, Sa Paix à Lui et non la paix des hommes.
Jésus, Dieu fait homme, nous fait participer à sa divinité pour nous donner le courage de rester fermes jusqu’au bout, et d’aimer jusqu’au bout, même au prix de porter la croix !
Ce qu’a enduré notre Eglise durant des siècles nous apprend que la foi, la charité et l’espérance sont plus fortes que toutes les tentations du Malin et les tempêtes du Mal. Le désespoir n’a pas sa place dans nos cœurs ni dans nos communautés !
Osons de nouveau l’aventure : croire qu’il nous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, il y a deux mille ans, aujourd’hui et jusqu’à la fin des temps !
Heureuse fête de la Nativité 2014.
Père Mounir